lundi 10 novembre 2008

mardi 11 novembre - pulcinella jazz a-topique

Lundi. Je suis allé chercher mon père à Baliros pour l'accompagner à la clinique M., à Pau, où il devait passer des examens post-opératoires au cours de la matinée. La température extérieure est de 5°. Nous sommes de retour à 11h30. Son impatience entre les visites m'agace, m'irrite et, pour tout dire, est épuisante. L'impatience et la fébrilité des hyper-vieux est une observation banale, qui me surprend toujours. Entre midi et 13 heures, je déjeune à Nay, où ma mère réside dans une maison de retraite. Le marché, qui occupe tout le pourtour de la mairie, est débordant d'activités. Des fruits, des légumes, des fromages, des vêtements, ds bijoux fantaisie. Il y a une trentaine d'année, j'avais acheté à cet endroit même une veste noire en moleskine de paysan. Fort cher. Mais, aujourd'hui encore elle n'est pas usée. Comme j'ai pris sinon du poids du moins un peu d'épaisseur due à l'âge, c'est Françoise qui la porte. Je suis attaché à ce vêtement increvable et finalement assez snob tant il est décalé et hors d'âge. En parcourant le marché, j'ai la surprise de voir qu'un camion de vêtements porte le même nom que celui où, trente ans plus tôt... C'est le fils de mon vendeur qui a repris la boutique ambulante. Un jour ici, un jour là, sans point fixe. Presqu'un don d'ubiquité. Nous discutons un peu. Il me dit que ce type de veste n'existe plus. Ce serait invendable à cause du prix. Je me rappelle alors l'étiquette, cousue sur la poche intérieure gauche, du côté du coeur. Lettres rouges sur fond blanc : "Au fusil". Peu après 13h30, je rends visite à ma mère pour lui porter de l'eau de Cologne, un tube de dentifrice, une savonnette, de la poudre (parce que son nez brille après la toilette), de la crème hydratante pour le visage. J'arrive à la fin du repas. Il fait chaud. La température extérieure est de 22°, le soleil tape fort sur les vitres des chambres et de la salle à manger. Il y a une atmosphère à couper au couteau. On pourrait dire qu'il y a de l'électricité dans l'air. C'est le moment, juste après le repas, où les aides-soignants doivent remettre les lieux propres et accompagner les résidents aux toilettes. La tension est palpable. J'aide ma mère, clouée dans un fauteuil roulant, handicapée par de l'arthrose, à ranger son cabinet de toilette, à trouver une place pour chacune des choses que je viens de lui apporter. Mais je sens bien qu'elle n'a plus de lieu personnel. Elle pour ainsi dire à la fois vissée sur son fauteuil et déplacée, tant il est certain - et elle le sait - qu'elle ne reviendra plus jamais à Baliros, dans sa villa. Chez elle.

De retour chez moi, j'ai un coup de pompe carabiné. Il me faut trouver une source d'énergie sans délai. Dans un premier temps, un café fort ! Et puis, écouter les deux disques de "Pulcinella" que nous avons ramenés de Bagnères de Bigorre. Le remède est souverain. C'est comme si je m'étais immergé dans une source de jouvence. Sur son site, le quartet se définit comme une formation de jazz délocalisé, ce que j'interprète comme l'expression d'une volonté de ne pas s'enfermer dans des formes fixes, comme l'intention de jouer en toute occasion les passe-murailles, comme une manière de se dire nomades et de le revendiquer.

Tout en écoutant "Vie et mort du platane de Prugnanes", "Je suis dans la dèche", "Sale gosse" ou "Hippocampéléphantocamélos", qui évoque un être fantastique, composite, hybride, à l'image du style du quartet, et bien d'autres titres encore, un mot me vient à l'esprit : "a-topique". C'est cela, une musique a-topique. Une musique qui n'a pas de lieu, qui ne veut pas s'enfermer en un seul lieu, en un lieu unique. Une musique à géomètrie variable. Curieusement, je pense au marchand forain, ici ou là, ici et là. S'il a un lieu, c'est, comme son nom, forain, l'indique, un lieu hors les murs, hors le centre ville. Je pense aussi à ma mère, dépourvue de lieu, âme errante, ailleurs entre quatre murs.

"A-topie", fil rouge de ce lundi, veille de 11 novembre. Je n'ai jamais compris pourquoi cet adjectif d'origine grecque signifiant l'absence ou la privation de lieu défini, et pourquoi pas l'ubiquité aussi, pourquoi donc cet adjectif avait été supplanté par "U-topie" dans notre langage courant ? Pourquoi Thomas Morus a-t-il choisi ou-topon pour titrer son oeuvre et non a-topon ? D'autant plus que le mot ou-topon n'existe pas en grec, alors qu'a-topia et a-topos existent,qui signifient "qui n'est pas en son lieu ou place, donc extraordinaire, étrange, insolite et aussi extravagant, absurde, insensé". Peu importe. Il reste que cette idée que "Pulcinella", qui se présente comme du jazz délocalisé, est bien une musique non localisable, a-topique, et une musique u-topique, imaginaire. Une musique sans local. A ciel ouvert. A l'air libre. Nomade. Extravagante, c'est-à-dire vagabonde, qui se déplace sur des chemins qui ne sont pas ceux du sens commun. Une musique à sens multiples.

Il est temps de penser à aller casser une petite croûte. Le lecteur et les disques sont chauds. Le soir semble ne pas vouloir s'éteindre. Pour garder une image visuelle de "Pulcinella", je choisis ces deux photographies dont je force les contrastes pour les rendre moins réalistes, plus imaginaires.




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