lundi 8 décembre 2008

mardi 9 décembre - prolégomènes à une approche systémique du plaisir de l'écoute

Je citais il y a quelques jours cette phrase de Bernard Lavilliers, qui continue de résonner dans ma tête : « La musique, ça ne s’analyse pas », sous-entendu, le plaisir qu’on éprouve à l’écouter est immédiat ou il n’est pas. La réflexion n’a pas sa place dans ce processus. La relation entre les sensations et le jugement de plaisir ou non est immédiate. Aucune médiation intellectuelle n’est capable de produire ni d’expliquer l’effet produit dans l’instant de l’écoute.

Admettons… même si, comme je l’ai écrit, j’ai l’intuition que le phénomène n’est pas si simple. Et, de toute façon, même si l’on peut adhérer à l’idée que le plaisir esthétique (écoute d’une œuvre musicale, contemplation d’une œuvre plastique, etc…) ne peut être rendu intelligible par une explication rationnelle, un enchainement logique de propositions discursives, il reste légitime d’essayer d’en comprendre le fonctionnement. Le fonctionnement, pas le mécanisme, ce qui serait retomber dans la réduction analytique. Le fonctionnement, c’est-à-dire « ce qui se passe chez le sujet écoutant ».

Il y a quelques mois, j’avais essayé de formaliser ce fonctionnement, c’est-à-dire de construire un modèle de nature à rendre compréhensible, d'abord pour moi-même, le processus par lequel on éprouve un plaisir plus ou moins grand à l’écoute d’une œuvre musicale, qu’il s’agisse d’un concert ou de l’audition d’un disque. Il ne s’agissait pas pour moi d’un travail d’analyse, de mise à plat ou de mise en pièces des éléments de ce processus, mais plus exactement d’un travail de type « approche systémique » pour mieux comprendre la complexité de cette expérience. Par approche systémique, je veux dire qu’en la matière les interactions entre les facteurs en jeu sont déterminantes et qu’il ne s’agit en aucun cas de réduire cette expérience à la somme pure et simple de ses éléments. Il ne s’agit pas d’arithmétique des sensations, ni de réduction du qualitatif à du quantitatif, mais d’un essai de construction / compréhension de ce phénomène en tant qu’il est complexe. Bref, il s’agit d’abord d’une tentative à visée heuristique.

Eh bien, en reprenant la formule que j’avais essayé de construire, d’abord à mon propre usage, c’est-à-dire pour mieux comprendre comment je fonctionne quand telle écoute suscite en moi du plaisir, en reprenant donc cette formule, je la trouve encore aujourd’hui assez « aidante ».

L’idée directrice est la suivante : « l’écoute esthétique », que je différencie de l’écoute objective (par exemple avec une visée scientifique), de l’écoute distraite (par exemple sans attention particulière) ou de l’écoute ciblée (par exemple avec une visée d’information précise dans un ensemble plus ou moins confus), l’écoute esthétique désigne une écoute visant prioritairement la recherche d’un plaisir sensible et/ou intellectuel. C’est l’attitude que j’adopte lorsque j’assiste à un concert ou lorsque j’écoute un disque. Cette écoute esthétique est, me semble-t-il, fonction d’un certain nombre d’éléments, que l’on peut considérer comme les paramètres la constituant. Parmi ces éléments, j’en retiens deux du côté de l’auditeur : son identité (son histoire, sa situation sociale, sa culture, sa pratique ou non d’un instrument, sa psychologie personnelle), d’une part, et son projet d’écoute, ici et maintenant, d’autre part. Du côté de l’œuvre, je retiens trois éléments : l’œuvre en tant qu’objet (qui justement est analysable en tant que tel), le compositeur (et je retrouve ici son histoire, sa situation sociale, sa culture et ses influences, etc…) et les interprètes (pour lesquels je retrouve les mêmes caractères que pour l’auditeur et pour le compositeur). J’ajoute deux autres éléments : l’un, technique, à savoir la qualité de la chaine matérielle de l’enregistrement à la restitution ou les conditions du concert, l’autre, matériel, à savoir les conditions spatiales et temporelles de l’écoute. Je suis tenté d’ajouter un dernier élément, quasi circonstanciel, qui serait le climat affectif dans lequel on se trouve au moment de l’écoute. La notion d’humeur du moment correspondrait assez bien à cette idée.

Encore une fois, pour comprendre « ce qui se passe » et le plaisir induit qui en résulte lorsque j’écoute un disque ou un concert, il n’est pas question de décomposer mon expérience en ces éléments. Il s’agit d’essayer de saisir, dans leur complexité, comment ces différents facteurs se combinent et interagissent entre eux. C’est ainsi que la déficience de l’un d’entre eux suffit à mettre à bas tout l’édifice. Par exemple, des bruits parasites extérieurs, même discrets, peuvent réduire à néant toute possibilité de plaisir. Mais inversement, tel passage un peu plus faible d’un morceau peut être englobé dans l’impression globale qu’il m’inspire.

Cet essai de formalisation n’a pas la prétention de rendre totalement compréhensible le plaisir que j’éprouve, mais du moins il a l’intérêt de ne pas s’en tenir à l’idée simpliste que ce plaisir est un mystère, qu’il est ineffable, voire subjectif, adjectif qui souvent signifie « de cela, des goûts et des couleurs, on ne discute pas ». Où l’on retrouve d’ailleurs le propos de Lavilliers : « La musique, ça ne s’analyse pas ! ». Si elle ne s’analyse pas, du moins, je le crois, peut-on essayer de comprendre comment elle fonctionne.

La formule résumant cette tentative de formalisation :

- Ee : l’écoute (à visée) esthétique
- f : est fonction de…
- Su : le sujet -auditeur
- P : le projet d’écoute de l’auditeur
- O : l’objet – œuvre (telle qu’elle est objectivée sur une partition)
- C : le compositeur
- I : l’interprète ou les interprètes
- M : la chaine matérielle de l’enregistrement à la restitution
- Si : la situation, c’est-à-dire les conditions spatiales et temporelles de l’écoute
- A : le climat affectif du moment, l’humeur

Si maintenant on essaie de formaliser cette attitude, je pense qu’en première approximation et sous réserve du travail critique, qui reste à faire, on peut écrire la formule suivante :

Ee = f [(Su, P),(O,C,I),(M,Si)].A

................

PS. Suite à la publication de cette page inspirée par une bouffée de délire théoricien, j'ai reçu un courriel de Sylvie Jamet, qui me parait devoir être ajouté ici, car il apporte des précisions qui manquaient à mon texte, cette absence n'étant en rien due au hasard ; j'y reviendrai.

Je cite Sylvie :

"concernant cet élément circonstanciel, l'"humeur", je dirais que ce climat affectif, de même qu'il se rapporte à l'auditeur, affecte également l'interprète (qui est dans un certain état au moment de l'interprétation, ce jour-là, à cette heure-ci, ou ce mois-là, ou cette année-là en fonction des aléas de sa vie et des aléas logistiques, humeurs...). Par contre il ne me semble pas pouvoir de la même façon se rapporter à l'auteur, sa composition étant moins liée à un moment particulier et pouvant mieux s'étendre dans la durée que dans un instant (on trouve donc cette "humeur" de l'auteur dans la caractéristique "C : le compositeur" (sa vie, ses caractéristiques, ses expériences)... "

Cette remarque me parait en effet tout à fait pertinente et, comme je l'indiquais ci-dessus, si elle m'avait échappé, ce n'est pas par hasard. Je ne pratique ni l'accordéon, ni aucun instrument, alors que Sylvie joue de l'accordéon. Manque d'expérience d'un côté ; expérience effective d'interprète de l'autre. Dans la mesure où j'ai l'expérience de concerts en tant qu'auditeur / spectateur, je pense d'autre part que le facteur "humeur de l'interprète" est particulièrement présent dans le cas de concerts et de musique live. Il est sans doute moins important dans le cas d'enregistrement de disques où plusieurs prises sont possibles et où, comme pour le compositeur, la durée devient une variable majeure.

Merci Sylvie pour ta contribution aux "Prolégomènes...". La boite à suggestions est ouverte !

Sylvie l'Accordéonaute Bio,
Blog Généraliste de Musique et d'Accordéon
Accordion and Musique Blog
http://sylviejamet.over-blog.com/
AccordionSpace : http://www.myspace.com/blogaccordeonmusique

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