mardi 6 décembre 2011

jeudi 8 décembre - y a pas que l'accordéon... y a aussi vladimir velickovic aux abattoirs à toulouse

Toulouse. Musée des Abattoirs. Exposition "Vladimir Velickovic - Les versants du silence", du 18 novembre 2011 au 29 janvier 2012. On s'est accordé une heure, entre 16 et 17, mercredi 31 novembre, pour la visiter. Quel choc ! Imaginez par exemple ce tableau : 200 x (4 x 150 ) ! D'emblée, on est comme aspiré par le noir profond où s'agitent et se contorsionnent des figures humaines fuyant vers un horizon sans issues ou déjà démembrées. Stupéfaction et fascination ; cauchemar. On pense à André Breton déclarant dans le manifeste du surréalisme : " La beauté sera convulsive ou ne sera pas ".   


Cette exposition est consacrée à l'ensemble de l'oeuvre de ce peintre né à Belgrade en 1935. La présentation des tableaux ne suit pas un ordre chronologique strict, ni thématique, mais une sorte de mixte des deux, qui nous montre les obsessions de cet artiste et leur évolution ou leurs changements suivant un parcours récurrent ou spiralaire. En tout cas, une exposition monumentale ou magistrale, comme on voudra, mais une exposition dont on sort secoué... Parmi les thèmes ou, suivant un terme qui me parait préférable, parmi les obsessions de Velickovic, l'exposition en retient sept :

- les représentations de la crucifixion ou, plus exactement, l'interprétation qu'en donne cet artiste,
- les représentations de la figure du gisant en écho à la tradition picturale,
- l'origine, que l'on pourrait spécifier en origine du monde et en accouchement de bêtes immondes,
- le néant ou la destruction, voire la néantisation,
- l'humain en mouvement vers le vide,
- le bestiaire de l'inconscient : chiens, corbeaux, rats, cochons,
- les lieux que l'on voudrait ignorer, entre squatts et salles de tortures.

C'est ainsi que l'on croise Grünewald et le retable d'Issenheim, les gisants de Mantegna, les gravures de Callot ou les désastres de la guerre de Goya ; c'est ainsi, comme le remarque Françoise, que l'on croise Dante et son enfer où il est question d'hommes nus et sans défenses harcelés par des chiens sauvages ; avec Dante, on croise aussi Jérôme Bosch et ses figures humaines déformées, tragiques et grotesques ; ce sont aussi des paysages désolés à perte de vue qui font penser à Maldoror et à Lautréamont ; bien sûr aussi, comment ne pas reconnaitre la figure fantômatique du marquis de Sade errant parmi des tableaux de scènes de torture ; dans une autre salle, la course d'un lévrier nous rappelle les photographies de sujets en mouvement prises par Muybridge ou par Etienne-Jules Marey ; sur un autre mur de la salle consacrée aux obsessions de l'origine, forcément on pense à "L'origine du monde" de Courbet, mais dans une interprétation horrifique. Inutile d'ajouter que l'ensemble de l'exposition est ainsi saturé de références culturelles.

Quant à l'origine de ces obsessions, pas question de se livrer ici à quelque psychanalyse de bistrot. Il suffit de rappeler que Velickovic est né à Belgrade en 1935. On ne peut pas ne pas penser aux horreurs de la seconde guette mondiale dans les Balkans et, plus près de nous, aux horreurs qui ont suivi l'éclatement de la Yougoslavie. On n'a pas fini de découvrir encore aujourd'hui de nouveaux charniers. Bref, le monde de Velickovic est le monde des obsessions morbides d'un européen du vingtième siècle. Ni plus ni moins. sauf que lui les transforme en créations artistiques. Par exemple, ces tableaux immenses de paysages réduits à un brouillard noir s'élevant au-dessus d'une terre noire, avec, entre les deux, pour les séparer, une ligne rouge comme un chapelet d'incendies. Irrespirable ! Par exemple, ces gisants ou ces corps torturés sans têtes auxquels font face des têtes sans corps.

Ci-dessous, j'ai choisi sept photographies. Il ne s'agissait pas pour moi d'illustrer chacun des thèmes décrits ci-dessus, mais simplement de les évoquer de manière synthétique, en ce sens que souvent plusieurs thèmes co-existent dans un même tableau.

Première photographie : un gisant sans tête. Il faut imaginer un tableau de 195 x 600 cms.


Ici, une peinture d'un chien courant, façon Muybridge ou Marey. Un regard analytique.

Exemple de ces tableaux de corps torturés et souvent abandonnés dans des lieux effrayants.

L'obsession des corbeaux rencontre l'obsession de la crucifixion. Les corbeaux, effrayants, comme le seront ailleurs des chiens, des rats ou des cochons. L'inconscient en pleine figure.


L'origine de la bête immonde. Hommage à Courbet revisité par Sade.

L'homme qui court, oui... mais vers quoi ? Le vide, le rien , le néant... A moins que les rats attachés à ces mollets ne l'aient dévoré ou du moins déchiqueté avant... Avant quoi ? Avant rien...

Devant ce tableau, je n'ai pu m'empêcher de penser à Goya. Ce n'est pas rien, c'est presque que rien... A moins que ce qui reste, après les combats qui n'ont laissé aucun survivant sur le terrain, ce ne soit moins que rien.


Les deux photographies ci-dessous n'ont certes pas pour but d'expliquer la technique de Velickovic. Il faudrait pour cela beaucoup d'exemples et une analyse fine et savante. Je les ai choisies parce que l'une montre la technique picturale de l'artiste, l'autre sa technique de dessin. J'avoue que je reste fasciné devant ces deux images : de la trace matérielle au sens pour la tête de chien...

... du trait au sens pour ce dessin.

Dans les deux cas, ma fascination tient à ce mystère : comment la signification émerge-t-elle de la disposition en deux dimensions de traces matérielles ou d'un lacis de traits ? Comment le sens advient-il à la contemplation de ces traces ?    

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]

<< Accueil