dimanche 15 janvier 2012

lundi 16 janvier - strange fruit

Je me rappelle. C'était à l'Astrada, à Marciac. Le samedi 28 mai. "The Wynton Marsalis Quintet & Richard Galliano - From Billie Holiday to Edith Piaf". C'était le dernier rappel du concert d'inauguration de cette salle magnifique destinée à devenir un haut lieu du jazz. Un concert marqué au sceau du professionnalisme : rigueur, créativité, respect réciproque des artistes entre eux, complicité de longue date... Un concert dont on se souvient comme d'une référence. En prime, le comportement du public de connaisseurs, qui comprend les musiciens à demi-note.

C'était donc le dernier morceau. Ce fut "Strange Fruit". J'en garde le souvenir d'une sorte de tempête, d'orage, de rage et de révolte. Comme si le Tuxedo Brass Band était pris de folie, comme s'il voulait mettre le feu et propager la violence trop longtemps contenue. Tempête. Trompette de l'apocalypse. Bref ! On était sidéré, sous le choc. Depuis, ce moment fait partie de nos références, de nos repères. Une sorte de limite, qui ne se franchit que très exceptionnellement. D'une certaine façon, ça fait partie de notre trésor de concerts.

Et puis, voilà que Françoise, assise à son bureau, devant son écran, me dit :"J'ai trouvé quelque chose d'intéressant ! Je te l'envoie ! Tu te rappelles "Strange Fruit" (je me dis in petto : "Tu parles que je m'en souviens". Notez : pas de point d'interrogation dans la question, car Françoise connait la réponse)... Je crois que ça va t'intéresser". Et donc, elle m'envoie le lien ci-dessous.

http://www.radiocampusangers.com/category/radio/emissions/ca-va-jazzer/

Comme on peut le voir sur mon écran, il s'agit du site de Radio Campus Angers et le dessin annonçant "Strange Fruit" m'éclaire immédiatement quant à la violence de ce morceau. Je comprends à l'instant cette impression de jazz "New-Orleans" explosant tout à coup comme un volcan éteint qui laisse déborder ses entrailles. Trop de souffrances !



Ci-dessous, le texte de l'article, que je me permets de citer eu égard à son intérêt : "Le fruit étrange par Duppy !"

"Afin de comprendre les conditions de création de cette chanson, il faut se replacer dans le contexte social et politique de l’Amérique des années 30. Qui permet également de réfléchir sur ce qu’est une grande chanson : un texte à la fois poétique, intelligent, politique, ne manquant pas d’humour noir, et surtout trouvant son interprète idéal : Billie Holiday. Strange Fruit a été élue chanson du siècle par le Time Magazine !!!

Les arbres du Sud portent un étrange fruit,


Du sang sur les feuilles, du sang aux racines,


Un corps noir se balançant dans la brise du Sud,


Étrange fruit pendant aux peupliers.



Scène pastorale du “vaillant Sud”,


Les yeux exorbités et la bouche tordue,


Parfum du magnolia doux et frais,


Puis la soudaine odeur de chair brûlée.



Fruit à déchiqueter pour les corbeaux,


Pour la pluie à récolter, pour le vent à assécher,


Pour le soleil à mûrir, pour les arbres à perdre,


Étrange et amère récolte.

Ce superbe texte frappe d’abord par sa simplicité, son humour et la hardiesse de ses images. Il a été écrit, ainsi que la musique, en 1937 par un professeur d’anglais juif américain, activiste politique d’obédience communiste : Abel Meeropol aka Lewis Allan. Ce n’était pas une nouveauté qu’une oeuvre d’un parolier / compositeur juif américain soit reprise par des noirs américains, nous sommes alors en pleine Tin Pan Alley, scène new-yorkaise des grandes comédies musicales des Irving Berlin,Hammerstein et autres Gerschwin. La nouveauté est dans la tonalité politique de cette oeuvre.Meeropol propose la chanson à Billie Holiday, sans apparamment aucun échange financier, et cette dernière la chante pour la première fois en 1939 au Café Society de New-York, seul lieu musical mixte de l’époque, marginal mais hautement fréquenté par les artistes et intellectuels de l’époque.

Le contraste est alors saisissant entre le New-York culturellement trépidant des années 30, mais socialement au bord du gouffre après la crise de 1929, et le Deep South raciste, terre des WASP et du KKK, ou le lynchage des noirs est alors pratique courante. Billie Holiday, grâce à l’intensité de son interprétation, va alors cristaliser et symboliser la lutte naissante de la reconnaissance des droits civiques des noirs, aidée en cela par la communauté blanche syndicale et politisée de l’époque. Abel Merropol devra d’ailleurs affronter les accusations du gouvernement américains au cours de la chasse aux communistes ouverte dès 1940. Il est à noter qu’il adoptera les enfants des époux Rosenberg, condamnés à mort et exécuté en 1953.

L’interprétation de Billie Holiday est d’une intensité dramatique inouïe, filmée par la BBC (qui a d’ailleurs interdit d’antenne Strange Fruit pendant de longues années) : Billie Holiday 2


Strange Fruit sera reprise par quelques artistes. Pete Seeger, Josh White, Nina Simone, Carmen McRae, UB 40 sont les principaux artistes qui oseront se frotter à ce texte et à la trace indélébile laissée par Billie Holiday.

Une dernière plus récente de Cassandra Wilson, en version blues".


http://www.youtube.com/watch?v=h4ZyuULy9zs


Cliquez sur ce lien. Vous ne le regretterez pas.

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