jeudi 26 janvier 2012

samedi 28 janvier - insomnie et épistémologie

Souvent, pour ne pas dire chaque nuit, je me réveille. Entre 2 heures et 3 heures, entre 3 et 4, entre 4 et 5, c'est selon. Je laisse alors défiler sur l'écran noir de mes nuits blanches ou sur l'écran blanc de mes nuits noires - c'est selon - des idées, des images, des fragments de pensées, parfois des idées noires. Comme tout le monde. Entre minuit et 2 heures, après 5 heures, je dors. J'aime bien ces moments entre veille et sommeil. Ils me manqueraient s'ils venaient à disparaitre en se dissolvant dans un sommeil profond et continu.

Parfois, je me lève pour regarder les courriels que j'ai reçus au coeur de la nuit : des offres de placements mirifiques, des adresses de sites de rencontre, des conseils pour gérer au mieux mon patrimoine, pour le transmettre au mieux "aux petits", des rappels à la réalité : comment préparer ses obsèques ? Comment protéger ses biens ? Comment payer moins chers les soins vétérinaires ? Des soldes, des prix cassés et encore des soldes de soldes... Je l'avoue, ce défilé m'amuse et me met de bonne humeur.

Mais, venons-en au fait. La nuit dernière, une idée, ou quelque chose comme ça, m'a traversé l'esprit. Je rappelle que, si je ne dors pas, je ne suis pas pour autant tout à fait éveillé. Lorsque je parle d'un disque, que je viens de découvrir ou de ré-écouter, ou d'un concert auquel nous avons assisté, tout naturellement je parle d'écoute. J'ai écouté tel disque ; j'ai écouté tel concert... Oui, mais... qu'est-ce que ça veut dire "écouter" ? Qu'est-ce qu'on fait quand on écoute de la musique ?

Il me parait clair tout d'abord qu'écouter est un processus, c'est-à-dire une opération volontaire, disons intentionnelle, qui mobilise attention et intelligence, en vue - c'est l'intention - de recueillir des informations et de porter un jugement d'évaluation. Le plus simple de ces jugements se formulant ainsi : "ça me plait / ça ne me plait pas". En tout cas, ce n'est pas une simple action mécanique, comme un enregistrement automatique.

Ecouter implique sélection et choix d'informations parmi quantité d'autres informations possibles. Ecouter, c'est toujours et nécessairement sélectionner. Oui, mais... comment ? Sélectionner a priori, en cherchant à retrouver ce que l'on cherche, à l'exclusion de toute autre information ? Sélectionner a posteriori, sans idées préconçues, sans attentes déterminées ? Pas si simple ! Dans le premier cas, je risque de ne pas faire attention à des éléments inattendus ou novateurs et, disons, de les laisser passer entre les mailles de mon filet, de ma grille d'écoute. Dans le second, je risque de me bricoler des catégories d'analyse de bric et de broc ou même de redécouvrir des évidences. Question difficile, qui renvoie à celle de savoir quelle posture adopter entre celle qui aborde l'écoute d'une oeuvre à travers ce que l'on sait déjà et celle qui l'aborde, ou croit pouvoir l'aborder en toute innocence et ingénuité. Question impossible à trancher à mon sens, du moins en principe, question toujours là, qui ne se dénoue qu'en ayant conscience, au moment de l'écoute, qu'il faudra faire avec la tension entre ces deux pôles contraires. Ecouter tel morceau d'accordéon, c'est toujours savoir quelque chose de ce que l'on va écouter, donc avoir des attentes, et savoir faire comme si l'on n'en savait rien pour accueillir l'inattendu et l'inouï.

Ecouter peut aussi se réaliser suivant deux modalités : systématique ou non systématique. Non systématique ? J'écoute un cd, par exemple, suivant l'ordre programmé des morceaux, je me laisse porter par le cours de leur enchainement, je prends les morceaux comme ils viennent et, chemin faisant, je me fais mon jugement. Systématique ? J'écoute tel titre puis tel autre, en fonction de questions que je me pose, en fonction de tel ou tel intérêt. Mon écoute peut alors être cadrée, répétée, codée même. Au service d'une intention de vérification plus que de simple évaluation.

Mon écoute peut porter sur ce que j'écoute en tant qu'objet. C'est l'attitude du musicologue capable d'analyser tel ou tel morceau comme une composition et d'en démonter les articulations. Elle peut aussi porter sur moi-même en tant qu'auditeur : ce que je perçois, ce que j'éprouve, ce que je ressens. Approche objective d'une part, approche subjective d'autre part. Descriptive dans les deux cas, mais pas de la même manière. Deux approches que l'on retrouve dans les critiques ou les chroniques de disques : les unes expliquant comment tel ou tel morceau est fabriqué, les autres essayant de traduire l'effet produit sur un auditeur.

L'écoute peut encore être narrative ou attributive. Narrative ? Elle porte alors sur ce qui s'est passé en cours d'écoute, sur ce qui a eu lieu, elle s'efforce de faire le récit de ce moment. Attributive ? Elle vise alors l'attribution de telle ou telle qualité à ce qui est écouté, elle recense la présence ou l'absence de tel ou tel élément qui servira à fonder et à justifier un jugement de valeur. Attitude qui certes s'éloigne de la pure objectivité, au sens scientifique du terme, mais qui a une valeur d'objectivité effective quand elle est accompagnée d'une explicitation authentique des a priori qui fonde le-dit jugement de valeur.

Mais ce n'est pas tout. J'ajouterais volontiers en effet ce que j'appelle l'écoute instantanée et l'écoute différée. Je conçois que ce concept d'écoute différée puisse paraitre étrange, tant il semble que par définition l'écoute ne puisse être qu'immédiate, sur le vif, live. Ce que je nomme écoute différée renvoie en fait à une expérience assez étrange qu'il m'est arrivé d'éprouver. Ayant écouté tel ou tel morceau et en ayant ressenti telles ou telles impressions, il m'arrive, finalement assez souvent de me le remémorer et de changer ou de modifier mon jugement à son égard. Bien entendu, je n'en reste pas là et tout de suite je vérifie le bien fondé ou non de mon jugement.

Bon ! Tout ça, c'est un peu en vrac. Plus de questions que de réponses ou du moins que de pistes claires à suivre. Mais, pour aujourd'hui, je m'en tiens là. Je rappelle qu'il s'agit d'idées nées de mes insomnies. Des songeries épistémologiques, quoi !   

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