lundi 23 juillet 2012

lundi 23 juillet - mon père est mort dimanche à 23 heures

Vendredi soir, nous étions avec "les petits", à Hossegor, d'où nous avions prévu de partir, le lendemain, pour rejoindre Sanguinet et son festival de jazz. Depuis des mois en effet nous avions retenu deux places pour le concert de Richard Galliano. Et quel concert ! Tangaria Quartet avec Surel au violon, Aerts à la contrebasse, Mejas aux percussions. Jazz à Sanguinet avec son lac sur la côte landaise. Jazz à Sanguinet avec ses podiums et son chapiteau.

Mais, ce vendredi soir, le directeur de la maison de retraite saint Joseph m'appelle sur mon portable. Mon père refuse toute nourriture ; il refuse de se lever ; il refuse d'ouvrir les volets ; il reste prostré dans le noir et la chaleur suffocante. On essaie de le nourrir pas perfusions : il arrache tout. Il jette serviettes, pots de yaourt, verre et autres choses diverses dans la cuvette des w.c. Qui évidemment sont bouchés et débordent. Le directeur me dit que c'est ingérable et qu'il est dans la nécessité de faire hospitaliser mon père. Il me dit aussi qu'il est inutile que je rentre à Pau.

Samedi matin, alors que je suis sous la douche, une infirmière de saint Joseph m'appelle. Il faudrait que je vienne signer mon accord pour hospitalisation de mon père en secteur psychiatrique. Revenir à Pau pour une signature ? Je résiste. Je pense à Sanguinet. Finalement, le directeur décide de faire jouer la procuration que je lui ai signée à l'entrée de mon père dans son établissement.

Samedi, 20 heures, à Sanguinet. Dans deux heures, Galliano et le Tangaria Quartet. Mon portable sonne. Une infirmière de l'hôpital de Pau m'informe que mon père est au pavillon de gériatrie au service de médecine générale. Surprise de ma part. Explication : il souffre d'une forte insuffisance respiratoire. On s'occupe de lui. On a bon espoir de réduire cette faiblesse.

Samedi, entre 22h30 et 00h15, le concert. Un pur chef-d'oeuvre. J'y reviendrai plus en détail. Après quatre morceaux, Richard Galliano essaie d'en donne les titres. Mais il se trompe ; il oublie. Par exemple, il en rit lui-même, il dit "Laurette" au lieu de "Laurita".  Il a le temps de dire que le premier morceau "Azul Tango" est une création. On reconnait par la suite "Vie violence" ou "Opale concerto" ou "Chat pitre" ou encore une Gnossienne qui prend des allures de danse orientale. Ah ! Le violon lascif de Surel ! Et pour finir, "Indifférence" et "La Javanaise".  Mais comme sa mémoire défaille, il nous explique qu'il y a des soirs où il n'est pas possible de se concentrer sur le jeu et de faire des commentaires. Il faut choisir. Jusqu'à la fin du concert, plus un mot. Les titres s'enchaînent et c'est envoûtant. Quand la maîtrise technique et la créativité vont de pair, ça donne ce concert.

Après minuit, on fait la route enttre Sanguinet et Parentis où nous avons loué une chambre. Je pense à mon père. Je me dis que j'ai d'autant plus apprécié ce concert que nous y avons assisté alors que peut-être on aurait dû y renoncer et rentrer à Pau. Une sensibilité particulière, comme exacerbée.



Dimanche, midi. Alors que nous roulons vers Hossegor, mon portable sonne. Une infirmière du service de gériatrie m'appelle : mon père souffre d'insuffisance respiratoire, d'insuffisance cardiaque, d'insuffisance rhénale... mais qu'ils ont quelque espoir d'y remédier. Son ton pourtant, ses doutes...
Nous faisons étape-déjeuner du côté de Vielle. une assiette landaise et un verre de Tursan. Mais le coeur n'y est pas. Quelque chose comme un funeste pressentiment. On arrive à Hossegor, les "petits" sont allés s'inscrire pour un diplôme de nage d'endurance dans le canal. Ils sont radieux et ravis. Heureux. On n'ose pas  leur faire part de nos doutes et de nos craintes. Ils sont si heureux et insouciants.

Je rentre seul à la villa. Mon téléphone... Le chef de service m'informe que l'état de mon père s'est aggravé. Une septicémie s'est déclarée. Il dit qu'il est possible qu'il ne passe pas la nuit. J'ai compris. Dès le retour de la tribu, Françoise, qui comprend comme moi le message, fait sa valise. On rentre parmi les estivants d'un jour qui sortent grillés par le soleil de leur farniente.

21h45. L'interne de service, jeune, très affectée par l'état de mon père, nous conduit auprès de lui. La bouche ouverte  il cherche l'air. Je suis frappé en observant ses efforts et son rythme de voir à quel point celui-ci est cahotique : il reste immobile la bouche grande ouverte. Il ne bouge pas. Je me dis qu'il est mort. Il aspire trois grandes gorgées d'air. Il retombe à nouveau dans son immobilité. Il est mort...Je regarde Françoise, qui me regarde. Non... Il respire... Je vois à côté de son bras un tube avec son étiquette : morphine. Son visage est émacié. La peau et les os. On lui parle ; je passe mes doigts sur son front, sur ses paupières... Rien... De marbre !

Je décide bientôt de quitter la chambre par crainte de le réveiller et de raviver ses souffrances. Il est 22h40. L'interne nous raccompagne. Parfois, dit-elle, "ils" attendent que leurs proches soient partis pour mourir. Je crois comprendre. On rentre à la maison et malgré tout on casse une petite croûte : jambon, fromage du pays, prunes et abricots... 23h00, mon portable sonne. On a compris. L'interne me dit que c'est fini... On revient immédiatement à l'hôpital. Je suis frappé de constater à quel point le visage de mon père à changé : un visage de cire. Non pas de l'apaisement - les souffrances enfin finies -, mais de l'indifférence. C'est ce mot qui me vient à l'esprit. Apathéia, ataraxia, disaient les sages de l'Antiquité. Je pense aux stoïciens et à leur méditation sur la mort. Est-ce une consolation ? Peut-être...

Curieusement, je m'étais préparé à cette issue fatale et je suis étonné par mon état d'esprit. Une absence de sentiment. Une sorte de sidération. En cet instant, je repense à la beauté de la musique du concert. C'est une telle consolation !

Lundi matin, nous réglons plusieurs questions matérielles liées aux obsèques. Je vais avec Françoise à Saint Joseph. Je veux informer moi-même ma mère. Mais, elle est presque inconsciente. Ce n'est pas le moment. Le médecin parle d'insuffisance respiration, de bronchite, mais aussi d'une sorte d'oedème à la jambe gauche. Il parle de phlébite.

Je récupère les vêtements de mon père dans sa chambre en vue d'en faire don à Emmaüs. Et alors que je découds les étiquettes portant son nom, un sentiment, même pas, une sensation, me pétrifie. J'en ai les larmes aux yeux : mon père est mort le dimanche 22 juillet à 23 heures, à l'hôpital de Pau.  Nous étions à son chevet jusqu'à 22h40. Par crainte de le sortir de son sommeil, nous sommes partis... Jusque là, malgré son absence de réactions, on lui avait parlé comme s'il pouvait nous entendre... Jusque là...

2 commentaires:

Anonymous Sister for ever a dit...

Une pensée affectueuse. Pour être passés par là déjà à trois reprises mon mari et moi, nous reconnaissons bien cet état de sidération, d'absence de sentiment....qui n'est qu'apparence! Dans qq jours les sentiments seront revenus à flots, puis les souvenirs, dans le désordre.. Et un jour il ne restera plus que les bons. Mais maintenant aussi...il y a ta maman, tout cela n'est pas facile... Je pense à toi et à Françoise. Et je suis contente que vous ayez vu le concert attendu...cela n'aurait rien changé d'y renoncer!

23 juillet 2012 à 15:14  
Blogger michel a dit...

Merci Sister... J'ai été très touché par ce message plein d'empathie et de gentillesse. Comme tu le dis, ça n'aurait rien changé de renoncer à Galliano et, peut-être même que la perfection de ce concert rend plus fort pour affronter les épreuves inévitables.

24 juillet 2012 à 12:05  

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