lundi 19 novembre 2012

dimanche 18 novembre - le travail de richard galliano

Le numéro de novembre de la revue Sciences Humaines est consacré principalement au travail. Avec, comme sous-titre : du bonheur à l'enfer. Un dossier fort intéressant. Et, dans ce dossier, un article, pages 32-39, signé Achille Weinberg, qui examine la question d'un point de vue psycho-sociologique : "Pourquoi travaille-t-on ?" Une bonne synthèse.

Trois raisons fondamentales expliquent pourquoi l'on travaille. On travaille pour gagner sa vie, pour être reconnu socialement, pour avoir une activité intéressante et, ce faisant, se réaliser. Disons que l'on travaille par nécessité matérielle, pour subvenir à ses besoins, pour satisfaire ses désirs, pour "faire du fric" ; on travaille d'autre part pour avoir un statut social, pour avoir sa place, pour tenir son rang dans la société où l'on vit ; on travaille enfin pour le plaisir, pour la satisfaction de faire des "choses" dont on est fier, pour avoir le sentiment de réaliser ses potentialités. Dans ce dernier cas, on parle de motivations intrinsèques (ce que je fais, je le fais parce que ça me plait) alors que dans le premier et le deuxième cas on parlera de motivations extrinsèques ; grosso modo, des motivations liées à la recherche de récompenses indirectes.

Notons que ces trois raisons sont étroitement liées et en interaction réciproque : on peut ainsi renoncer à un boulot lucratif parce que le milieu où on l'exerce est invivable tant les tensions sont insupportables ; on peut accepter un travail peu rémunérateur parce qu'on "s'éclate" en le faisant ; on peut être plutôt mal payé eu égard à ses diplômes, mais s'en satisfaire parce qu'on est reconnu, voire admiré, par son milieu social.

Je venais donc de lire cet article : "Pourquoi travaille-t-on ?" quand nous sommes allés à Arcachon assister au concert de Richard Galliano, Piazzolla Forever Septet. Après le concert, séance de signatures. On boit un dernier verre. L'atmosphère est détendue. Les musiciens discutent et s'attardent. Richard Galliano semble ne pas vouloir quitter les lieux. Disons qu'il parait heureux d'être là. Je suis d'ailleurs frappé par le fait qu'il ne semble pas fatigué alors même qu'il vient d'accomplir une vraie performance physique, sans compter la tension nerveuse qu'implique un concert.

Et je me dis que cette absence de traces de fatigue tient peut-être au fait que son activité n'est pas, pour lui, du travail. Disons qu'elle n'est pas vécue comme relevant du travail. Son "travail" en effet ne relève pas de la nécessité matérielle. Il est, je suppose, à l'abri du besoin et ce n'est pas la nécessité de "faire bouillir la marmite", qui l'oblige à accepter le nombre de concerts qu'il donne ou à enchaîner album sur album. Peut-être, par contre, que la reconnaissance sociale est une motivation plus fondamentale de son activité. Reconnaissance qu'il obtient, concert après concert, sans la moindre faille. Paradoxalement, j'imagine d'ailleurs que cette reconnaissance peut induire chez Richard Galliano un trac et une tension de plus en plus intenses. Chaque succès a pour conséquence que l'enjeu du prochain concert sera augmenté. Impossible de s'arrêter et de savourer sa réussite. J'imagine enfin que la motivation la plus puissante qui pousse Richard Galliano à jouer encore et encore, c'est le sentiment de réaliser ses potentialités, de faire ce qu'il est capable de faire. Ainsi s'explique pour moi sa passion de "monter" sans cesse de nouvelles rencontres ou d'explorer des terrains nouveaux : Bach, Nino Rota, Vivaldi chez Deutsche Grammophon. La passion de créer comme désir d'aller au-delà de ses limites.

En fait, Richard Galliano ne travaille pas. Il joue.  

  

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