vendredi 23 novembre 2012

samedi 24 novembre - exposition de tableaux, concert, écoute d'un cd : trois modalités du temps vécu

Depuis les premiers balbutiements de mon goût esthétique jusqu'à il y a une douzaine d'années, mon art de prédilection était la peinture. Depuis, par le truchement de l'accordéon, pour lequel j'ai décidé de me passionner, la musique a rejoint l'art pictural au sommet de mes préférences. Ce que j'aime dans la peinture, c'est la formidable présence de l'oeuvre exposée. Une présence énigmatique, dont le sens n'est jamais donné, sauf dans les commentaires souvent abscons et tarabiscoté, faussement philosophiques, des peintres. Plus communément appelés artistes plasticiens. Mais si le sens est fourni en amont de l'oeuvre et comme préalable à toute contemplation, c'est tout le tableau qui se vide. Les mots, la pensée discursive, tuent toute recherche de sens, or c'est cette recherche qui est essentielle. Et, en tant que telle, elle demande du temps. Au bout du compte, au bout de ce temps où l'on parcourt une peinture dans tous les sens, où l'on épuise à cette tâche son énergie et son intelligence, au bout du bout, il reste encore, entière, l'énigme de la présence. Présence arbitraire, qui aurait pu ne pas être-là ; présence nécessaire, qui de toute évidence ne pouvait être autre. Chercher à comprendre comment ça tient, cela demande du temps. Beaucoup de temps. En tout cas, indéfini. Ainsi, dans la peinture exposée, l'espace appartient à l'artiste, mais le temps - au sens de durée, non de temps chronométrique - appartient au spectateur. Ce temps, c'est toujours de l'attention, de la tension, de la fatigue. Contempler vraiment les tableaux d'une exposition, c'est épuisant.

Le concert, au contraire, c'est toujours un moment qui appartient au musicien. L'espace lui est compté ; il n'en maitrise pas entièrement la disposition. La qualité du son, la qualité de la lumière échappent en partie à sa volonté. Telle salle sonne bien, telle autre absorbe les sons et gomme tout relief. Tel éclairage est trop mou, tel autre trop dur, tel autre encore souligne exagérément la couleur  des morceaux, comme si l'on avait besoin d'un commentaire ou de sous-titres. Mais si l'espace est difficile à contrôler, le temps, la durée est l'apanage du musicien. Et ce temps est dramatiquement irréversible. On peut le dire linéaire. Un instant chasse le précédent avant de s'effacer à son tour. Chaque instant d'inattention est perdu à jamais. C'est pourquoi l'écoute attentive d'un concert est épuisante. C'est pourquoi aussi cet instant de silence après la dernière note est nécessaire à chacun pour reprendre son souffle et émerger de son rêve.  C'est aussi une manière de prendre conscience que la vie est fragile. Un vrai miracle, si l'on veut bien y réfléchir. Contrairement à la peinture où le spectateur maîtrise le parcours par lequel il s'efforce de donner sens à l'oeuvre contemplée, dans un concert, le parcours échappe totalement à l'auditeur.

Peinture, musique, deux modalité du temps vécu.

Par différence avec le concert live, on pourrait se dire que l'écoute d'un cd  redonne à l'auditeur la maîtrise du temps. En un sens, oui... Mais pas entièrement. Ecouter un cd, c'est se donner l'illusion que la répétition à l'identique est possible. Mais en fait, quand on écoute un morceau, on n'écoute pas la même chose qu'à l'écoute précédente, ne serait-ce que parce qu'on a une autre attente. Et puis, l'on se dit qu'on pourra toujours y revenir, reprendre tel ou tel passage choisi, mais c'est encore une illusion. La seconde écoute se définit toujours par comparaison avec la précédente. Il s'agit toujours d'attentes qui ne sont jamais les mêmes. En fait, l'écoute d'un cd est pour ainsi dire spiralaire : on passe et repasse par les mêmes points, mais pas au même niveau.

Parcours de la contemplation d'un tableau, écoute d'un concert, écoute d'un cd : trois manières de vivre le temps, trois modalités du temps vécu personnel.

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